ArticlesEntretien avec Bernard Thibault, Secrétaire Général de la CGT
Dans cette période électorale, la médiatisation des situations ne relève pas que de la volonté ou de la détermination des salariés. Nous constatons une dérive médiatique consistant à privilégier les opérations spectaculaires aux mobilisations massives.
Entretien avec Bernard Thibault, Secrétaire Général de la CGT
Décideurs. Quel est l’impact de la situation économique actuelle sur le dialogue social au sein des entreprises françaises ?
Bernard Thibault. Le dialogue social est fortement déterminé par les marges de manœuvre réduites, voire inexistantes, laissées aux directions d’entreprises par les actionnaires qui recherchent coûte que coûte une forte rentabilité. Les syndicats d’entreprise sont assaillis de projets de suppressions d’emplois et/ou d’aménagements du temps de travail en ligne avec l’amélioration de la « compétitivité ». Cela vide progressivement de sens cette notion de dialogue social trop souvent vécue comme un simulacre de concertation. Faute d’obligations légales obligeant les employeurs à examiner sérieusement les alternatives des salariés aux projets des directions d’entreprises, ce dialogue tourne à vide.
Décideurs. Ya-t-il un besoin de réformer pour améliorer le dialogue social au niveau des entreprises (par opposition au niveau interprofessionnel et à celui de la branche) ? Si oui, quelles mesures sont envisageables ?
B. T. Au niveau de l’entreprise, il faut donner de nouveaux pouvoirs d’intervention aux représentants des salariés, dépassant la seule possibilité d’émettre des avis sur des projets ficelés. Il faut également faire entrer les salariés dans les conseils d’administration afin qu’ils puissent peser sur les orientations stratégiques. Les négociations annuelles obligatoires doivent être relancées. Pour cela, il faut élargir les thèmes devant obligatoirement faire l’objet de négociation et conditionner l’attribution d’aides publiques à la conclusion d’accords. Il faut enfin, pour prendre en compte l’organisation actuelle de la production et des services, inventer de nouvelles formes de dialogue social dépassant le strict périmètre de l’entreprise pour prendre en compte la sous-traitance, les bassins d’emploi et les filières d’activité. Des comités interentreprises, sur un plan territorial et/ou de filière, doivent permettre aux représentants du personnel de disposer d’une vision élargie des enjeux, des stratégies et de leurs implications sur la situation des salariés.
Décideurs. Dans les situations de crise (plan social, restructuration), quels faux pas du management peuvent conduire à une situation de blocage et comment les éviter ?
B. T. Plutôt que de faux pas, parlons plutôt de la propension des directions d’entreprise à cultiver le secret et à mettre les salariés face à des décisions déjà arrêtées qu’il ne reste plus qu’à soumettre pour la forme au comité d’entreprise. Ce type de démarche conduit bien souvent au blocage.
Décideurs. Du côté des représentants syndicaux, y a-t-il également des erreurs à ne pas commettre afin de ne pas rompre le dialogue social ?
B. T. Pour qu’un dialogue soit possible, il faut admettre que les représentants des salariés portent des propositions et qu’elles sont dignes d’intérêt. Il y a peu de cas où les représentants des salariés, lorsqu’ils sont pris au sérieux par les directions, ne saisissent pas les opportunités de négociation qui se présentent. La situation qui a défrayé la chronique récemment [le rejet du plan social de la SNCF par les représentants syndicaux de la société SeaFrance, ndlr] est à ma connaissance isolée. Les syndicats d’entreprise aujourd’hui s’impliquent de façon offensive pour rechercher toutes les solutions possibles pour garantir l’emploi et la pérennité des sites industriels.
Décideurs. Comment expliquez-vous que l’engouement des médias se cristallise sur certains cas particuliers de crise (l’usine Lejaby et ses 93 ouvrières), omettant à l’inverse d’en évoquer d’autres (comme la liquidation judiciaire de Comareg, 1650 licenciements pour lesquels la couverture médiatique a été moindre) ?
B. T. Dans cette période électorale, la médiatisation des situations ne relève pas que de la volonté ou de la détermination des salariés. Il est plus facile de faire un coup médiatique et donc politique en trouvant un repreneur pour 93 salariés que de traiter le cas d’une entreprise de plus grande taille. De façon plus générale, la question de la médiatisation soulève de sérieux problèmes. Nous constatons une dérive médiatique consistant à privilégier les opérations spectaculaires aux mobilisations massives. Les millions de salariés mobilisés en 2010 contre la réforme gouvernementale sur les retraites sont déjà rangés aux oubliettes de l’histoire et les milliers de manifestants du 29 février ne valent pas une image au 20 heures de France 2. Ne nous étonnons pas que les salariés deviennent plus imaginatifs et que leur colère s’exprime de façon parfois spectaculaire.
Décideurs. Est-il nécessaire d’accepter la perte de dynamisme de certains secteurs d’activités (textile …) afin de se concentrer sur des secteurs plus compétitifs dans lesquels la France bénéficie d’avantages comparatifs (numérique, industrie, high tech …) ? Dans le cas contraire, comment maintenir ces secteurs industriels moins compétitifs (protectionnisme ? nationalisations ?), et ce maintien doit-il être provisoire pour des raisons sociales ou permanent pour des raisons stratégiques et d’indépendance nationale ?
B. T. Attention à cette idée un peu simpliste selon laquelle nous pourrions échapper à des phénomènes de délocalisation dans des secteurs touchant des technologies de pointe et que nous pourrions laisser filer tel ou tel secteur ne faisant pas partie de cette catégorie.
Il faut mettre sur pied une véritable politique industrielle pour évaluer nos atouts et nos handicaps, définir les secteurs stratégiques pour le pays et les créneaux où il est vital de maîtriser les savoirs faire. Les évolutions technologiques touchent quasiment tous les secteurs. La délocalisation, si elle aboutit à des réimportations de produit, peut aussi outre le dumping social s’accompagner de formes variées de dumping environnemental (émissions de CO², risques liés au transport de produits ou matières dangereux …). La question posée n’est pas celle du protectionnisme mais de l’imposition aux frontières de l’Europe de taxes d’ajustement pour que les mêmes contraintes, notamment en matière environnementale, s’appliquent aux produits consommés en Europe. Quant aux secteurs stratégiques et qui comportent une dimension d’indépendance nationale, il est impératif de les identifier et d’établir une maîtrise publique comme dans l’énergie, les transports… La CGT fait la proposition de plusieurs pôles publics pour concrétiser cette maîtrise.
Bernard Thibault. Le dialogue social est fortement déterminé par les marges de manœuvre réduites, voire inexistantes, laissées aux directions d’entreprises par les actionnaires qui recherchent coûte que coûte une forte rentabilité. Les syndicats d’entreprise sont assaillis de projets de suppressions d’emplois et/ou d’aménagements du temps de travail en ligne avec l’amélioration de la « compétitivité ». Cela vide progressivement de sens cette notion de dialogue social trop souvent vécue comme un simulacre de concertation. Faute d’obligations légales obligeant les employeurs à examiner sérieusement les alternatives des salariés aux projets des directions d’entreprises, ce dialogue tourne à vide.
Décideurs. Ya-t-il un besoin de réformer pour améliorer le dialogue social au niveau des entreprises (par opposition au niveau interprofessionnel et à celui de la branche) ? Si oui, quelles mesures sont envisageables ?
B. T. Au niveau de l’entreprise, il faut donner de nouveaux pouvoirs d’intervention aux représentants des salariés, dépassant la seule possibilité d’émettre des avis sur des projets ficelés. Il faut également faire entrer les salariés dans les conseils d’administration afin qu’ils puissent peser sur les orientations stratégiques. Les négociations annuelles obligatoires doivent être relancées. Pour cela, il faut élargir les thèmes devant obligatoirement faire l’objet de négociation et conditionner l’attribution d’aides publiques à la conclusion d’accords. Il faut enfin, pour prendre en compte l’organisation actuelle de la production et des services, inventer de nouvelles formes de dialogue social dépassant le strict périmètre de l’entreprise pour prendre en compte la sous-traitance, les bassins d’emploi et les filières d’activité. Des comités interentreprises, sur un plan territorial et/ou de filière, doivent permettre aux représentants du personnel de disposer d’une vision élargie des enjeux, des stratégies et de leurs implications sur la situation des salariés.
Décideurs. Dans les situations de crise (plan social, restructuration), quels faux pas du management peuvent conduire à une situation de blocage et comment les éviter ?
B. T. Plutôt que de faux pas, parlons plutôt de la propension des directions d’entreprise à cultiver le secret et à mettre les salariés face à des décisions déjà arrêtées qu’il ne reste plus qu’à soumettre pour la forme au comité d’entreprise. Ce type de démarche conduit bien souvent au blocage.
Décideurs. Du côté des représentants syndicaux, y a-t-il également des erreurs à ne pas commettre afin de ne pas rompre le dialogue social ?
B. T. Pour qu’un dialogue soit possible, il faut admettre que les représentants des salariés portent des propositions et qu’elles sont dignes d’intérêt. Il y a peu de cas où les représentants des salariés, lorsqu’ils sont pris au sérieux par les directions, ne saisissent pas les opportunités de négociation qui se présentent. La situation qui a défrayé la chronique récemment [le rejet du plan social de la SNCF par les représentants syndicaux de la société SeaFrance, ndlr] est à ma connaissance isolée. Les syndicats d’entreprise aujourd’hui s’impliquent de façon offensive pour rechercher toutes les solutions possibles pour garantir l’emploi et la pérennité des sites industriels.
Décideurs. Comment expliquez-vous que l’engouement des médias se cristallise sur certains cas particuliers de crise (l’usine Lejaby et ses 93 ouvrières), omettant à l’inverse d’en évoquer d’autres (comme la liquidation judiciaire de Comareg, 1650 licenciements pour lesquels la couverture médiatique a été moindre) ?
B. T. Dans cette période électorale, la médiatisation des situations ne relève pas que de la volonté ou de la détermination des salariés. Il est plus facile de faire un coup médiatique et donc politique en trouvant un repreneur pour 93 salariés que de traiter le cas d’une entreprise de plus grande taille. De façon plus générale, la question de la médiatisation soulève de sérieux problèmes. Nous constatons une dérive médiatique consistant à privilégier les opérations spectaculaires aux mobilisations massives. Les millions de salariés mobilisés en 2010 contre la réforme gouvernementale sur les retraites sont déjà rangés aux oubliettes de l’histoire et les milliers de manifestants du 29 février ne valent pas une image au 20 heures de France 2. Ne nous étonnons pas que les salariés deviennent plus imaginatifs et que leur colère s’exprime de façon parfois spectaculaire.
Décideurs. Est-il nécessaire d’accepter la perte de dynamisme de certains secteurs d’activités (textile …) afin de se concentrer sur des secteurs plus compétitifs dans lesquels la France bénéficie d’avantages comparatifs (numérique, industrie, high tech …) ? Dans le cas contraire, comment maintenir ces secteurs industriels moins compétitifs (protectionnisme ? nationalisations ?), et ce maintien doit-il être provisoire pour des raisons sociales ou permanent pour des raisons stratégiques et d’indépendance nationale ?
B. T. Attention à cette idée un peu simpliste selon laquelle nous pourrions échapper à des phénomènes de délocalisation dans des secteurs touchant des technologies de pointe et que nous pourrions laisser filer tel ou tel secteur ne faisant pas partie de cette catégorie.
Il faut mettre sur pied une véritable politique industrielle pour évaluer nos atouts et nos handicaps, définir les secteurs stratégiques pour le pays et les créneaux où il est vital de maîtriser les savoirs faire. Les évolutions technologiques touchent quasiment tous les secteurs. La délocalisation, si elle aboutit à des réimportations de produit, peut aussi outre le dumping social s’accompagner de formes variées de dumping environnemental (émissions de CO², risques liés au transport de produits ou matières dangereux …). La question posée n’est pas celle du protectionnisme mais de l’imposition aux frontières de l’Europe de taxes d’ajustement pour que les mêmes contraintes, notamment en matière environnementale, s’appliquent aux produits consommés en Europe. Quant aux secteurs stratégiques et qui comportent une dimension d’indépendance nationale, il est impératif de les identifier et d’établir une maîtrise publique comme dans l’énergie, les transports… La CGT fait la proposition de plusieurs pôles publics pour concrétiser cette maîtrise.